Le puits est à sec depuis deux mois. À quatorze pieds de profondeur, il n’y a que six pouces d’eau et la pompe est à découvert. Le niveau de l’étang a baissé de trois pieds. Avec de la pluie toutes les deux semaines dans la zone d’ombre pluviométrique des montagnes Blanches du New Hampshire, ça ne représente pas grand-chose.
On ne se rend pas compte de la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues.
On ne se rend pas compte de ce qui nous manque qu’une fois qu’on en a besoin.
Assiettes et serviettes en carton. Gobelets en plastique. Lingettes pour bébé.
Et s’il ne pleut pas avant que le sol ne gèle ? On n’a rien prévu. L’année prochaine, on récupérera l’eau de pluie ! On peut creuser un puits artésien pour soixante-dix dollars le pied, soit 30 000 $ pour 160 pieds, mais ça peut aller plus loin : 200, 350, 497 pieds !
Aucun gouvernement, ni local, ni régional, ni provincial. Aucune agence. Débrouillez-vous, nous ont-ils dit.
De bons voisins. Guy a apporté quatre mille litres d’eau. Odile nous a ouvert sa maison pour la lessive et les douches.
Des moments de partage et de compassion à la source du Rang Dix avec d’autres : un libertarien sympathique qui nous a conseillé de n’en parler à personne, car les oligarques allaient la privatiser ; un vieil homme bagarreur, avec une seule dent, qui vit ici depuis cinquante ans ; une mère avec ses trois enfants, en tabarnak, parcourant soixante kilomètres jusqu’à Sherbrooke pour faire sa lessive ; une veuve remplissant de vieux pots de sucre d’érable ; un pilote d’avion tirant un tracteur et une « tote » de mille litres ; et moi, un petit vieux avec mes bidons en plastique.
Pendant ce temps, dans la Métropole, la sécheresse fait enfin la une des journaux : des yachts sont échoués. Mis à part ce désagrément, la sécheresse signifie du beau temps le week-end ! Et nous, à contempler l’eau qui coule du robinet au centre communautaire, à en apprécier la douceur. Se gratter la joue non rasée.
Nous sommes d’anciens campeurs. On peut y arriver ! Au moins, nous avons un toit au-dessus de nos têtes au lieu d’une tente. D’autres sont dans une situation bien pire. Courage !
Comme la pandémie, vous n’oublierez jamais ça. Changer ses habitudes, changer sa façon de voir les choses, apprécier ce qu’on n’a pas et ce qu’on possède.
Et puis, enfin, la pluie d’automne est arrivée. Il pleut depuis trois jours. Le puits est plein à trois pieds et ça continue de monter. Simon a actionné le pressostat du réservoir. Et l’eau a coulé du robinet ! Des cris de joie et de soulagement ! Un profond soupir, puis un autre.
Kenneth Cameron
Chartierville

